Ton frère t'avait balancé quelque chose qui te foutait à l'envers. Depuis qu'il t'avait balancé cette histoire, tu restais des plus accroché à Vanessa. Tu avais plus peur que jamais qu'il lui arrive quelque chose, qu'il arrive quelque chose à votre bébé. Simplement l'idée de les perdre, te tues à petit feu et penser à ton frère qui l'a vécu, ça te fou à l'envers. Grâce à une carte dans la voiture, t'as su ce qu'il faisait comme boulot. Ça t'a pris quelques jours, mais tu ne supportais plus. Tu t'es rendu jusqu'à l'hôtel et tu as passé le poste d'accueil. Tu sais bien qu'on te parle, mais tu t'en fous complètement, tu marches et regardes autour de toi. Ton coeur bat très fort, tu ne t'entends plus penser. Monsieur! On t'agrippe le bras pour t'arrêter mais tu repousses l'agent de sécurité. Tu continues ton chemin. Un autre s'ajoute et tu te retrouves coincé dans leurs mains. Toi qui déteste être toucher. Ça va plutôt mal. BEN PAUVRE CON! SORS DE TON TROU! POURQUOI TU M'AS DIT ÇA MERDE ! BENJAMIN! Tu te secoues dans tous les sens. L'agressivité ressort et ça, c'est le premier signe d'une crise. Ça t'arrivait souvent jeune. Crise qui finissait quand sous les poings de tes frères.

Contrat d'embauche d'une gouvernante d'un côté, pile de CV pour le recrutement d'un chef de cuisine de l'autre. Je n'ai pas une grande motivation pour me pencher sur ces questions alors je cherche un dérivatif qui ne vient pas et mon esprit part à la dérive. Les yeux dans le vague mes doigts pianotent sur mon bureau le rythme de mes pensées. C'est la sonnerie de mon téléphone qui m'arrache à ma mélancolie. Murphy. Monsieur, il y a un problème.  Inutile d'en dire plus, je suis déjà debout prêt à rejoindre l'autre bout de l'étage quand j'entends un beuglement via le téléphone. Tilt je connais cette voix et ce ton n'augure rien de bon. Lâchez le immédiatement, j'arrive. Je raccroche t me met en chemin au plus vite. C'est Bill Henslay qui a appelé donc tu as quasiment  réussi à forcer le passage jusqu'à mon bureau. Je me précipite pour te rejoindre conscient que ça pourrait dégénérer. Tu n'as pas vraiment grandit sur ce plan on dirait ... En temps normal on m'obéit sans sourciller mais je découvre que cette fois la peur de ta carrure a été pire que la peur que je leur inspire. Y a t'il une quelconque place pour l'interprétation dans : lâchez le tout de suite ? Ma voix claque dans l'air et la froideur de mon regard exprime une rage qu'ils ne me connaissent pas. Dernière chance de conserver leurs emplois pour les deux cons qui te retiennent et pour Bill qui n'a pas su transmettre correctement mon message. Je ne sais pas ce qui leur a pris de jouer les gorilles... Pas du tout le style de la maison, qu'as tu bien pu faire pour qu'ils se saisissent de toi ?

Tu hurles le nom de ton frère, encore et encore, pendant que ces deux imbéciles te retiennent. Tu te débat dans tous les sens en l'appelant. T'es encore tout retourné de ce qu'il t'a dit. Tu n'as même pas su répondre à son message. Tu n'avais aucune idée de quoi dire et te voilà sur le point de peter les plomb à cause de ce qu'il t'a dit. Après un moment, tu le vois débarquer et ton regard se pose sur lui. TU t'agites encore et encore avant de te retrouver libre sur tes pieds. Tu te redresses bien droit, replace ta veste avant de pratiquement te jeter sur ton frère. De tes deux mains, tu le repousses. Tu trembles et ton regard s'embue. Pourquoi tu m'as dit ça putain! Tu le repousses encore la gorge nouée. POURQUOI! Tu ne t'arrêtes pas tu le pousses encore en tremblant. T'as les cernes sous les yeux, ce qui montre ton manque de sommeil.

Mon prénom, scandé comme un appel au secours me bouleverse au plus profond même si je n'en montre rien. C'est ma colère qui se perçoit et ils finissent par le lâcher. Ils reproduisent sans le savoir ce qui se passait chez nous quand Brody se mettait dans tous des états. On essayait de le tenir tranquille, il vrillait, les coups pleuvaient. Presque autant sur moi que sur lui quand j'y repense mais ça ne justifie pas ceux que j'ai moi même donné. Depuis j'ai grandi et beaucoup changé mais j'ai l'impression de me retrouver plus de 20 ans en arrière quand je le vois comme ça. Il se précipite sur moi, hurle et me pousse. Je fais un signe aux agents de sécurité pour qu'ils disparaissent. Je vois bien qu'ils ont peur de ce grand type étrange, mais ce qui se passe maintenant ne concerne que mon frère et moi. Je pousse un soupir douloureux devant ses propos et secoue la tête une moue amère sur les lèvres. Généralement je ne parle pas de Sofia, ni d'elle ni du bébé ni de mes espoirs enterrés avec eux... Ces vêtements de bébé répandus sur le sol ont réveillé ma douleur et ce regard perdu qu'il affiche ouvre un gouffre sous mes pieds. Viens. Ma voix reste ferme mais ma gorge se serre, cet ordre ressemble à une supplique. Je serre les dents et fais volte face marchant à toute allure vers mon bureau. J'ouvre la porte à la volée et y entre pour enfin regarder si tu m'as suivi. Je voulais te parler, je ne sais pas si c'est toujours le cas. Je t'ai dit pour Sofia et tu n'as même pas daigné me répondre ? Et maintenant ? Tu m'engueules? Mes pensées essayent de m'entraîner sur la pente si aisée de la colère. Rage, un sentiment familier, bien plus facile à contrôler que la tristesse insondable qui étreint mon coeur à l'évocation d'un enfant qui porterait ses traits...

Ton attention reste sur ton frère et rien ne peut t'en déroger. Tu as encore ses mots en travers de la gorge. Tu n'arrives même pas à expliquer ton état à ta copine. Tu es accroché à elle, en constante inquiétude. Tu ferais quoi s'il lui arrivait quelque chose ? C'est la question qui passe encore et encore dans ta tête. Rien à faire. Ça reste la, dans ta tête. Tu es tellement perturbé, que tu hurles dans l'hôtel pour l'attention de ton frère et ça continue même quand il te demande de le suivre. Putain Ben! Tu vas me répondre ! Il s'éloigne et tu le suis, parce que tu veux une réponse ! Tu veux savoir pourquoi il t'a dit ça. C'est un autre stratagème pour te foutre en l'air ? Pour te faire soufrir ? Les poings ça ne serre plus à rien les poings vu que tu sais encaisser ? Tu le rejoins dans son bureau en passant ta main dans tes cheveux. T'as la gorge nouée, les yeux humides et à peine la porte passé, tu le pousses à nouveau. Tu trouves des nouvelles façons de me torturer, c'est ça ?! T'as aucune idée de comment exprimer tout le mal qui te traverse et le fait, que lui il a perdu tout ça et que ça te fait mal pour lui. Tout se mêle dans ta tête.

Il a beau hurler je ne peux m'arrêter qu'une fois dans mon bureau. J'ai le temps de claquer la porte derrière nous qu'il me pousse déjà. Il est à bout et je sens obscurément que ce sont mes confessions qui ont provoqué ça. Je n'ai même pas la force de me mettre en colère quand il me traite de tortionnaire. Arrête un peu Brody. pense t'il avoir le monopole de l'enfance de merde ? Au moins lui il avait l'attention de notre chère mère... Cette même maman qui m'a signalé son arrivée à San Francisco pour que je veille sur lui mais qui n'a jamais été foutue de s'inquiéter de ce qui advenait de moi après la mort de Sofia. Ce mot ! Ce concept.... La mort ! Je le fuis, tout le temps. En préférant plein d'autres... Absence, accident, plein de petits euphémismes pour essayer d'atténuer la violence de ma perte. Je me passe la main sur la nuque et ferme les yeux en secouant la tête. Parler de Sofia et du bébé est insupportable mais je suis coincé, il ne lâchera pas... C'est sûrement ce qui me rendait le plus dingue quand nous étions petits. Le fait qu'il soit incapable de démordre d'une idée une fois qu'il l'avait en tête. Alors je me force et puis finalement les mots coulent hors de ma bouche ayant rompu la digue que j'ai monté autour de mon âme. Ma femme, Sofia. Tu ne l'as jamais rencontré. Ma voix semble venir d'outre-tombe tant elle est métallique presque sans affect tant je lutte pour ne pas sombrer dans mon envie de la rejoindre. Elle était enceinte de mon bébé et elle est monté dans un hélicoptère. Un vol de routine à la con. Une saloperie de vol de loisir. Ma colère contre la vie, contre la malchance contre tout... Toujours aussi vive. La colère plutôt que la peine ! Je m'y accroche et je me reprends tandis que les sanglots me brise la voix même si les larmes ne sortent pas. Le pilote a perdu le contrôle. Il y a eu un crash. Je les ai perdu tous les deux. Les images me reviennent et je tremble. Les souvenirs tendres et cruels, la chambre de ce petit bout d'homme... Les toutes petites chaussures... Le manque me déchire les entrailles et ma bouche s'ouvre sur un cri silencieux tandis que je me laisse glisser le long du mur. Je ne la reverrais jamais, je ne rencontrerais jamais ce bébé que j'ai senti bougé... Au sol j'entoure mes jambes de mes bras et me balance rythmiquement insensible au monde, insensible à tout ce qui n'est pas l'infinie douleur qui me transperce le coeur.

Arrêter ? Il est sérieux ?! Hors de question que tu te te tais, que tu arrêtes de dire ce que tu as dans la tête. En fait, tu ne sais même pas ce qui se passe dans ta tête. Tu n'arrives même pas à te l'expliquer. Alors de là à le dire à ton frère ? Ça relève de l'impossibilité. Pourtant dès qu'il ouvre la bouche pour parler à nouveau, t'as un instant de recule. C'est quoi ce ton ? C'est quoi cette voix ? Tu avales de travers et baisse la tête en regardant ailleurs. Sa femme... Tu fermes les yeux un frisson qui te parcours le dos. Tu penses à Vanessa et cette idée d'en faire ta femme. Putain, cette peur de la perdre te reprend et ta gorge se noue. C'est de pire en pire quand il t'explique ce qui lui est arrivée et ton visage se déforme. Ta respiration est de plus en plus courte. Tes bras se referment contre toi et tu recules. Tu finis appuyé au mur sans pour autant réalisé l'état de ton frère. Ces pensés mesquines qui te font vivre ce qu'il te raconte. Tu manques d'air et tu finis à ton tour au sol, le corps tout replié contre lui. Tes yeux fixes le vide devant toi. Ta tête se laisse tomber tout en laissant monter tes mains près d'elle. T'es juste à côté de ton frère. Un balancement qui t'accroche et tu sursautes dans un décharge. Tes mains tremblantes chasse les larmes qui te brûlent les joues. Aucune idée comment, mais ton corps bascule vers celui de ton frère, tu repousses ses jambes et ta tête vient se poser contre cette dernière. Putain, tu souffres affreusement là. Tu as mal. Je... Je veux pas la perdre... Cette putain de crainte que tu as depuis trois ans, elle est plus vive...

Parler de l'accident c'est comme le vivre à nouveau et je ne suis pas prêt. Je crois que je ne le serais jamais. Ils m'ont fait voir un psychologue à l'hôpital quand je m'accrochais à la porte en exigeant qu'on me laisse la serrer dans mes bras alors qu'ils ne voulaient pas que je la vois. Il a dit tout un tas de connerie, m'a parlé de faire mon deuil... Je hais cette expression, on ne fait son deuil c'est le deuil qui nous essore qui nous prend et nous déchire... On ne lui fait rien du tout ! On le subit et on a mal, on pleure, on crie, on veut mourir, et dans mon cas on fuit. On laisse tout derrière soi... La vie qu'on avait, la maison, le boulot, le deuil a tout dévoré sur son passage ne laissant que des cendres et moi au milieu parcourant le pays pour le traverser de part en part et fuir tous les lieux qui peuvent me rappeler le paradis perdu. J'allais être père, j'avais une femme merveilleuse et aimante, je n'ai plus rien que des larmes amères qui ne coulent pas et des sanglots silencieux pendant que je vacille sur le sol mes jambes enfermées entre mes bras. Je ne comprends pas ce qui se passe, pourquoi tu te retrouves par terre à coté de moi et puis je reprend contact avec la réalité. C'est ton empathie probablement qui te fais ça, même si je ne pensais pas que tu en avais pour moi. Tu te retrouves contre moi et je referme mes bras autour de toi, trouvant dans ta chaleur un point d'ancrage pour ne pas basculer dans la folie que le malheur a mis sur mon chemin. Ma main caresse tes cheveux, doucement, comme un petit oiseau fragile qui pourrait s'effaroucher à tout instant. J'entends ma propre peine dans ta voix, ma peur, et mes larmes coulent enfin, libératrices. Tu ne vas perdre personne Brody. Tout va bien. Ma voix serrée les larmes coulant sur mon visage j'essaie néanmoins de te rassurer prenant en plein visage le fait que tu as désormais tout ce que j'ai perdu.Tu as la chance de l'avoir, ne perd pas ton temps à avoir peur. Je ne sais pas comment je trouve la force de te dire ça mais j'y crois, finalement tu viens signer là que la vie continue, sans elle, sans moi. Mon timing est passé, la preuve mon petit frère en est là où pour moi tout à basculer. Mon cœur n'est pas complètement mort, je peux encore m'animer, subir la passion, consoler, écouter, étreindre... Malgré tout le soir ce que je ressens c'est surtout l'absence et l'inanité de mon existence solitaire. J'avais tellement rêvé de ses rires d'enfants...

Toi ! Brody Murphy! T'as fini contre ton frère. Tu sais, celui qui prenait plaisir à te frapper quand t'étais gamin ? Oui, un des deux, il n'était pas seul, c'est vrai, mais il le faisait quand même. Tu t'es détaché d'eux assez facilement et rapidement et franchement, tu te passerais bien de leur présence dans ta vie. Peu importe ce qu'est devenu la leur. Pourtant, t'es là, replié sur ses genoux, enfermé dans ses bras et tu ne bronches pas, tu te laisses faire. Toi qui a toujours insupporté son contact, toi qui n'arrivait jamais à le regardé, pas même quand il t'a sauvé la mise de ces gars. Cette histoire avec sa femme et son enfant t'as poignardé en plein coeur, c'est pas faute de le dire! Pourquoi soudainement, tu te sens en sécurité face à son contact ? C'est tout à fait bizarre, anormal, mais grâce à cette accolade, tu arrives à prendre le dessus sur ta respiration et tout semble se calmer, enfin... Tu fermes les yeux, respiration forte, mais rythmé. Tu sens sa voix vibrer contre toi, voix qui semble sortir tout droit d'un autre monde, d'une autre personne. À ce moment il n'avait rien de ce frère que tu connaissais. Tu finis par ouvrir les yeux et tu te dégages de lui en t'adossant au mur à nouveau. Tu fixes devant toi, la gorge toujours nouée. Tu regardes ailleurs et te pinces les lèvres sans trop comprendre ce qui vient de se passer. Tu hoches positivement la tête pour faire signe que tu as compris. ok... Tu regardes Benjamin du coin de l'oeil et laisses tomber ta tête. Comment t'as fait ? Voix affreusement froide mais animé de curiosité. Non pas que tu te foutais de ce qu'il avait vécu, mais simplement parce que tu ne comprends pas l'importance de timbrer ta voix d'émotions apprises.

C'est tellement bizarre ce moment. T'avoir dans les bras, contre moi comme ça c'est sacrément inattendu. La dernière fois que je t'ai fait un câlin tu devais avoir quoi 2 ans et moi genre 5? Tu n'aimais déjà pas trop ça mais tu te laissais faire et puis ça n'était par encore complétement parti en vrille avec Brett à cette époque. Le bon temps ? Non même pas vraiment... Mes seules vraies bonnes années sont celles ou Sofia faisait partie de ma vie, elle éclairait les choses, les rendaient plus belles, plus savoureuses, plus intéressantes... Elle était mes rêves, mes plus brulants espoirs, elle était celle qui me rendait plus doux, moins sombre, moins dur, moins noir. Ma plus belle aventure, mon plus joli parcours et à la fin la mort et mon cœur en souffrance apprenant durement le sens du mot absence. Tu te redresses finalement et échappe à mon étreinte, j'essuie mes yeux rageusement honteux de ma faiblesse et de cette incapacité à faire mon deuil. On m'a dit, répété, de parler, d'exprimer, d'oser enfin lâcher un peu de tout ce poids qui m'écrase la poitrine mais je n'en ai rien fait me contentant de fuir comme si le passé ne pouvait me rattraper. Me voilà maintenant pris au piège de mon sang qui exige de comprendre sans y mettre la moindre forme. Tes phrases sont comme des uppercuts qui cognent dans mon cœur. Ma gorge se serre et les larmes brulent encore quand je prends ma tête dans mes mains un sanglot m'échappant tandis que je murmure simplement j'ai fui. Enfin je le formule, non plus comme un renouveau ou un nouveau départ mais bien comme ce que j'ai fait alors et que je me sais capable de reproduire, la fuite, crue et lâche... La seule solution pour l'être dévoré de douleur que j'étais alors, qui n'a même pas pu remettre un pied dans cette maison qui avait abrité tant d'amour. Un être cabossé qui n'a même pas eu le courage de rejoindre sa bien-aimée préférant courir à l'autre bout du pays pour se terrer.